Dynamique et conservation de l’Ile Tromelin (DyCIT)

Projet BEST 2.0 financé par l’Union Européenne


Le projet

Les invasions biologiques sont une cause majeure de perte de biodiversité en particulier dans les îles, où les espèces natives n’ont pas d’adaptation pour échapper à la prédation, ont des traits démographiques qui les rendent moins compétitives en cas d’invasion, et où les habitats refuges sont rares ou inexistants.

Les rats ont été introduits par l’homme dans la plupart des îles de la planète et sont responsables de nombreuses extinctions d’espèces insulaires endémiques.

L’île Tromelin (océan Indien occidental), avait, avant l’introduction des rats surmulots et des souris par l’homme, une communauté en oiseaux marins nicheurs abondante et diversifiée, caractéristique des petites îles tropicales.

En un peu moins de 2 siècles, cette communauté est passée de 10 espèces nicheuses et plusieurs centaines de milliers de couples à 2 espèces et quelques centaines de couples.

Devant ce constat, l’administration des TAAF, l’université de La Réunion et le Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CNRS) ont décidé d’éradiquer les rats surmulots et les souris. L’opération a été réalisée en décembre 2005 et les populations d’oiseaux marins et leurs habitats de reproduction ont été suivis régulièrement depuis cette date.

L’objectif du projet DyCIT (Dynamique et Conservation de l’Ile Tromelin) est d’étudier la dynamique de cette restauration écologique et d’en comprendre les processus démographiques et écologiques. Il permettra de mieux comprendre les capacités de résilience des petits écosystèmes insulaires tropicaux et pourra servir d’exemple pour d’autres situations où la biodiversité insulaire est menacée par des mammifères introduits tels que les rats.

Le projet est financé par l’Union Européenne, dans le cadre du programme BEST 2.0

Localisation et vue aérienne de l’ile Tromelin

Histoire de l’île Tromelin

Les oubliés de l’île Tromelin

C’est Jean-Marie Briand de la Feuillée, capitaine du navire “La Diane”, qui découvre et positionne pour la première fois le 11 août 1722 un petit ilot à l’est de Madagascar, ilot qu’il nomme “l’ile au Sable”, sans y débarquer.

L’ile au Sable est restée déserte jusqu’au 31 juillet 1761 date à laquelle la flûte “L’Utile”, qui opérait une opération illégale de transport d’esclaves entre Madagascar et l’ile de France (actuellement Ile Maurice), s’échoue avec à son bord 143 hommes d’équipage et 160 esclaves malgaches. Deux mois après le naufrage, les survivants de l’équipage (122 personnes) embarquent dans un chaland de fortune fabriqué avec les restes de l’épave de l’Utile, laissant à terre les esclaves malgaches, tout en faisant la promesse de revenir les chercher.

Cette promesse a été oubliée et ce n’est que le 29 novembre 1776, soit 15 ans après le naufrage, que le Chevalier de Tromelin, commandant la corvette “La Dauphine” parvient à mouiller devant l’ile au Sable et à sauver les derniers survivants (7 femmes et un nourrisson). L’ile au Sable devient l’ïle Tromelin en 1885, en hommage au chevalier de Tromelin.

La station météorologique et le statut actuel de l’île

L’île est à nouveau restée déserte jusqu’en 1954, date à laquelle une station météorologique permanente est installée. D’abord rattachée à la préfecture de La Réunion, l’île Tromelin est depuis le 3 janvier 2005 sous l’administration du préfet des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), avant de devenir, avec les autres Iles Eparses (Europa, Juan de Nova, Les Glorieuses et Bassas da India), le 5ième district des TAAF, par la Loi du 21 février 2007.

Les fouilles archéologiques et archéozoologiques

Entre 2006 et 2013, des fouilles archéologiques ont été réalisées par le Groupe d’Archéologie Navale sous la direction de Max Gérout, afin de comprendre comment une petite communauté humaine a pu survivre pendant 15 ans sur un ilot aussi petit et isolé. Dans le cadre de ces recherches archéologiques, Véronique Laroulandie de l’Université de Bordeaux et Christine Lefevre du Muséum National d’Histoire Naturelle, ont utilisé les ossements animaux trouvés dans les strates sédimentaires correspondant au naufrage pour reconstituer l’avifaune qui était présente au moment du naufrage et l’usage que les naufragés en ont fait pour survivre. Personne n’ayant jamais débarqué sur l’île avant le naufrage de l’Utile, ce travail archéozoologique constitue une archive inestimable de l’état de la communauté d’oiseaux marins avant tout impact de l’homme sur l’île.

Evolution de la communauté aviaire de l’île Tromelin

Les travaux archéozoologiques de Laroulandie & Lefèvre (2014) mais aussi les comptes rendus de visites ultérieures (Layard 1856 in Brooke 1981, Brygoo 1955, Le Corre 1996, Le Corre et al. 2015) permettent de retracer l’évolution de la communauté d’oiseaux marins de l’île entre 1761 (année du naufrage de l’Utile) et 2005 (année de la dératisation). Ceci retrace avec une précision rarement documentée la séquence des extinctions locales qui ont eu lieu en un peu plus de 2 siècles après le premier débarquement (involontaire) de l’homme sur un petit ilot corallien.

Ainsi, au moins 10 espèces d’oiseaux marins nichaient à Tromelin au milieu du 18ième siècle, dont 2 espèces de frégates, 2 espèces de pailles en queue, 2 espèces de fous et 4 espèces de sternes. La quantité d’ossement trouvés dans les sites occupés par les naufragés de l’Utile montre que l’île abritait notamment une très importante colonie de sternes fuligineuses. Les archives datant du naufrage indiquent que les naufragés ont collecté jusqu’à 6000 oeufs par jour et des milliers d’adultes, pendant les semaines qui ont suivi le naufrage. Ceci indique que l’île Tromelin abritait alors probablement plusieurs centaines de milliers de couples de sternes fuligineuses.

En 1856 une courte visite (décrite dans Brooke 1981) fait état de 8 espèces d’oiseaux marins dont 6 nicheuses. Les deux espèces de paille en queue semblent avoir disparu dès cette époque.

Un siècle plus tard (1954) seulement 4 espèces nichent encore à Tromelin (Brygoo 1955), plus aucune espèce de sterne n’étant alors notée nicheuse. Enfin en 1993-1995, seulement 2 espèces nichaient encore à Tromelin (Le Corre 1996), les deux espèces de frégates ayant cessé de se reproduire sur l’ilot probablement entre 1962 et 1986.

Cette évolution montre l’impact direct de l’homme sur les oiseaux marins (les naufragés n’ayant d’autres ressources disponibles que les tortues et les oiseaux marins), mais aussi l’impact plus lent mais tout aussi délétère des rats surmulots qui ont probablement été introduits au moment du naufrage de l’Utile.

La dératisation de 2005 et la dynamique observée jusqu’en 2014

En décembre 2005, une opération de dératisation est réalisée par les TAAF, avec la collaboration de l’Université de La Réunion et du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CNRS). L’objectif initial était d’éradiquer les rats surmulots et les souris, également introduites, mais les souris n’ont pas été totalement éradiquées et ont reconstitué, quelques années plus tard leur population.

La méthode de dératisation a consisté à placer des stations d’appâtage tout les 100 mètres sur toute les parties émergées de l’île, dans lesquelles des blocs chocolatés étaient positionnés. L’empoisonnement a été complété par la dispersion à la main de 1 tonne de granulés, soit une charge totale d’appâts de 10 kg/ha. Le raticide utilisé était un anticoagulant de deuxième génération (Brodifacoum). Cette molécule n’est active que sur les vertébrés à sang chaud. A Tromelin les seules espèces non cibles susceptibles d’être impactées par le Brodifacoum étaient les oiseaux marins (qui ne s’alimentent pas à terre) et les limicoles (tournepierres, courlis corlieu). Aucune mortalité sur des espèces non cibles n’a été constatée pendant l’opération ni pendant les semaines qui ont suivi.

Simultanément à la dératisation, un « état initial » de l’écosystème a été réalisé. Il comprenait le dénombrement exhaustif des oiseaux marins nicheurs et une description de la végétation. Des missions de suivi ont été réalisées régulièrement entre 2006 et 2014, au cours desquelles les dénombrements d’oiseaux, le suivi de la végétation et du piégeage de rats (pour vérifier leur absence) ont été refaits.

Dès 2006 les populations de fous masqués et de fous à pieds rouges ont augmenté, pour atteindre 855 couples de fous à pieds rouges et 1090 couples de fous masqués en mai 2013. Rappelons qu’il ne restait plus que 130 couples de fous à pieds rouges et 224 couples de fous masqués en décembre 2005, au moment de la dératisation.

Le couvert végétal a également évolué entre 2005 et 2013 avec en particulier une augmentation de la couverture herbacée, notamment dans la zone centrale de l’île où nichent les fous masqués.

Les premiers couples d’autres espèces d’oiseaux marins ont commencé à recoloniser l’ilot en 2014. Ainsi 3 couples de sternes blanches et un couple de fou brun ont été signalés en reproduction en août et octobre 2014.

La suite de la recolonisation fait l’objet du projet DyCIT (2016 – 2018).


Objectifs du projet DyCIT

La dynamique observée à Tromelin depuis la dératisation est très encourageante et nous a motivé à poursuivre les travaux dans le cadre de l’appel d’offre BEST 2.0 lancé en 2015 par l’IUCN et l’Union Européenne.

Le projet DyCIT comprend trois volets interconnectés:

Démographie des oiseaux marins

L’objectif est ici de déterminer, pour les espèces actuellement nicheuses, les paramètres démographiques qui permettent la reconstruction démographique actuellement observée: survie des individus par classe d’âge, succès reproducteur, âge de première reproduction, échanges avec d’autres colonies, …

Il s’agit également de détecter le plus précocement possible les tentatives de reproduction des espèces en cours de réinstallation. Ceci passe par un important effort de terrain et le déploiement de systèmes automatiques de détection de ces espèces (pièges photographiques et stations d’écoutes).

La réinstallation progressive des espèces et l’augmentation des effectifs entraine une réorganisation de la communauté et des interactions intra- et interspécifiques (compétition pour les habitats de reproduction en particulier). Nous réalisons la cartographie des colonies et la description des habitats de reproduction pour détecter ces éventuels phénomènes de compétition pour l’espace.

La sterne fuligineuse (à gauche), la gygis (au centre) et le noddi brun sont les trois espèces ayant recolonisé l’île après la dératisation.

Les populations de fous masqués (à gauche) et de fous à pieds rouges sont passées de moins de 300 couples à plus de 1000 couples 13 ans après la dératisation.

Démographie, écologie et impact des souris

Dans certaines îles, les populations de souris peuvent augmenter très rapidement après une dératisation, car les rats sont à la fois des compétiteurs et des prédateurs de souris. Leur éradication peut donc être très bénéfique aux souris, qui occupent très rapidement la place laissée vacante par les rats. Cette explosion démographique peut avoir des effets indésirables sur la biodiversité insulaire (augmentation de la prédation sur les végétaux, les invertébrés du sol, voire sur les oiseaux marins). La composante « souris » du projet DyCIT consiste à déterminer les paramètres démographiques de cette population (densité, structure par classe d’âge, fécondité, saisonnalité,..) et leur écologie trophique (régime alimentaire, interactions avec les oiseaux marins) afin d’évaluer leurs impacts actuels ou futurs. Une des finalités de cette composante est également d’apporter les informations utiles au gestionnaire pour une future opération d’éradication des souris.

Dynamique et structure de la végétation et interactions avec les oiseaux marins et les souris

La végétation des petits écosystèmes insulaires est très fortement impactée par les oiseaux marins, à la fois positivement (apports en nitrates et phosphates via les déjections) et négativement (mortalité provoquée par le guano au delà d’une certaine dose). Par ailleurs la dératisation peut également impacter la végétation en augmentant la survie des graines et des plantules. Les souris peuvent également impacter la végétation. La composante « végétation » du projet DyCIT consiste à faire un suivi à long terme de la végétation (placettes permanentes) et à réaliser des opérations expérimentales pilotes de germination de la principale espèce d’arbuste de l’île, le veloutier ( Heliothropium foertherianum ). Une procédure de détection précoce et de lutte est également mise en place pour empêcher toute invasions biologiques le plus rapidement possible après une introduction accidentelle. La composante « végétation » du projet DyCIT est réalisée par le Conservatoire Botanique National de Mascarin (CBNM).


expériences de germination en pépinière du veloutier

Application en terme de gestion conservatoire et transférabilité

Une des applications du projet DyCIT est de mieux comprendre le fonctionnement de cet écosystème insulaire y compris les interactions entre ses différentes composantes (végétation, oiseaux marins, souris, mais aussi faune des invertébrés, nature du sol, influence marine, impact potentiel d’une élévation du niveau de la mer, etc…). Cette meilleure compréhension sera traduite en recommandations opérationnelles qui seront intégrées au Plan de Gestion de l’île, en concertation étroite avec le gestionnaire de l’île (les TAAF).

L’expérience acquise à Tromelin sera également transférée et valorisée à l’occasion de séminaires régionaux en particulier à Madagascar où des problématiques similaires existent dans la plupart des ilots côtiers du pays.