A la recherche des paradis originels
Effectuer un premier référencement de la biodiversité marine de plusieurs sites vierges ou quasiment vierges du Pacifique Sud : voilà l’objectif d’une équipe de biologistes marins dirigée par Laurent Vigliola de l’IRD Nouméa (UMR 227 COREUS[1]) et David Mouillot de l’Université Montpellier 2 (laboratoire ECOSYM[2], UMR 5119). Après une première mission de ce projet nommé « PRISTINE » en 2012 sur des sites éloignés de Nouvelle-Calédonie à bord de l’Amborella, le navire du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, les scientifiques sont parti explorer à bord du navire océanographique de l’IRD, l’Alis, les îles Actéon en Polynésie en juin 2013, les récifs de Minerve à Tonga en juillet 2013 puis les récifs d’Entrecasteaux en Nouvelle-Calédonie en février 2014.
©IRD/JM Boré, récif Astrolabe, Nouvelle-Calédonie 2012
« Pristine » est le terme anglais pour définir des sites vierges – ou quasiment — de tout impact humain. C‘est le cœur du programme de recherche piloté par les partenaires IRD, CNRS et Université Montpellier 2, qui s’est déroulé depuis 2012 sur des sites ciblés en Nouvelle-Calédonie, aux îles Tonga et en Polynésie Française. Leurs explorations ont permis par des techniques de comptages visuels en plongée sous-marine, un référencement unique au monde de la biodiversité d’écosystèmes coralliens quasi-intacts. L’étude vise à fournir des éléments pour évaluer le caractère patrimonial de ces paradis premiers et des valeurs de comparaison utiles pour mesurer l’efficacité des aires marines protégées.
Une équipe pluridisciplinaire
Pour compter et déterminer la taille des poissons présents dans les différents sites inventoriés, plusieurs scientifiques ont participés à ces expéditions. Parmi eux, Laurent Vigliola, chercheur de l’équipe COREUS au centre IRD, Laurent Wantiez, chercheur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Frolla de la société Egle et Gérard Moutham de l’IRD Nouméa ont apporté leur savoir-faire en termes de comptages visuel de poissons. Alan Friedlander de l’Université de Hawaï, expert des sites préservés des activités anthropiques, Stéphanie D’Agata, doctorante du projet PRISTINE et spécialiste en biologie de la conservation, ainsi que Tom Letessier de l’Université de Western Australia et Jean-Baptiste Juhel, autre doctorant du projet Pristine, experts en stéréo-vidéos de grands prédateurs (requins, mérous…), ont complété l'équipe de comptages sous-marins.
La méthode utilisée est celle du comptage visuel en plongée: de part et d’autre d’une ligne imaginaire de 50 mètres appelée « transect », la faune de poissons est recensée en prenant note du nom de l'espèce ainsi que l'abondance, la taille et la position de chaque individu. Des modèles mathématiques sont ensuite appliqués aux inventaires pour estimer la densité des poissons (nombre de poissons par unité de surface) et leur biomasse (poids des poissons par unité de surface). Une vingtaine de variables descriptives de l’habitat (couverture corallienne, forme des coraux, abondance des algues, etc.) sont mesurées en parallèle. Des stéréos-caméras sont également déployées afin de mesurer très précisément l’abondance, la diversité et le comportement des grands prédateurs marins dans leurs derniers refuges.
Des données pour en compléter d’autres
De 2002 à 2009, Laurent Vigliola a participé au projet PROCFish au Secrétariat général de la Communauté du Pacifique (CPS) qui visait à déterminer l’état des pêcheries récifales à l’échelle régionale du Pacifique insulaire. Il s’agissait d’évaluer les ressources en poissons et de les mettre en relation avec des variables de socio-économie des pêches. Ainsi, la CPS dispose d’une grande base de données concernant les communautés de poissons et leurs habitats coralliens de 63 sites répartis dans 17 pays et territoires du Pacifique insulaire[3], ainsi que des valeurs socio-économiques de l’activité « pêche ». Les sites les plus vierges situés dans les zones étudiées durant PROCFish n’ayant pas été échantillonnés, les résultats du projet PRISTINE permettront d’effectuer une comparaison et de mesurer ainsi l’impact réel de l’homme. Pour cette raison, la CPS est partenaire du projet PRISTINE.
Connaître l’origine d’un milieu
En science et en écologie particulièrement, l’évolution d’un écosystème marin et l’évaluation de l'impact de l'homme ou de perturbations naturelles nécessite de connaître l'état originel du milieu étudié. Ces connaissances prennent la forme de référentiels. Les rapports des naturalistes établis avant le XXème siècle ne sont pas assez nombreux et trop peu détaillés pour permettre d’évaluer scientifiquement la dégradation des écosystèmes actuels. Pour la plupart d’entres-eux, l’état vierge n'existe plus, beaucoup de zones étant exploitées par la pêche par exemple. Ainsi, les états de références sont pour la plupart issus d’échantillonnage de réserves marines qui ont été mises en place pour protection et restauration.
Or ces réserves sont elles assez grandes et assez âgées pour être considérées comme état de référence ? Si ce n'est pas le cas, quels sont les objectifs à fournir aux gestionnaires qui souhaitent atteindre un véritable état de référence ? C'est dans ce contexte que s'inscrit le projet PRISTINE : redéfinir l'état de référence de systèmes coralliens dans différents pays du Pacifique en allant échantillonner les derniers sites vierges ou quasi-vierges afin d'obtenir un référentiel et ainsi évaluer les impacts anthropiques, mais aussi les mesures de protection telles que la mise en place de réserves marines. Les sites choisis sont donc isolés, non habités, non exploités et sur lesquels l'impact humain fut minime par rapport aux autres écosystèmes récifaux.
Contact
Centre IRD de Nouméa
110 Promenade Roger Laroque, BP A5
98848 Noumea cedex
Tél : (687) 26 07 91
laurent.vigliola@ird.fr
[1] COREUS : Biocomplexité des écosystèmes coralliens de l’Indo-Pacifique
[2] ECOSYM : Ecologie des systèmes marins côtiers
[3] Iles Cook, Fidji, Polynésie Française, Etats Fédérés de Micronésie, Kirribati, Iles Marshall, Nauru, Nouvelle Calédonie, Niue, Palau, Papouasie Nouvelle Guinée, Samoa, Iles Solomon, Tonga, Tuvalu, Vanuatu, Wallis et Futuna