« La première menace est le réchauffement climatique »**

FANNY HOULBREQUE, CHARGÉE DE RECHERCHE À L’INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DÉVELOPPEMENT IRD

Article à lire dans les Nouvelle-Calédonienne du 16 novembre 2019: https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/quel-est-l-etat-de-sante-de-nos-recifs-coralliens

** Le contenu de cet article provient entièrement des Nouvelle-Calédonienne.

Quelles sont les particularités de nos récifs coralliens ?

La Nouvelle-Calédonie possède la plus grande diversité de types de récifs : récif barrière extérieur comme à Canala, double barrière comme à Poindimié, récif-barrière côtier comme à Poé, récif-barrière imbriqué comme dans la corne sud et récifs frangeants. Par ailleurs, on a la deuxième plus grande barrière corallienne au monde après celle de l’Australie. Enfin, au niveau de la biodiversité dans les récifs : on possède autour de 400 espèces de coraux, mais également plus de 500 espèces d’algues, 9 000 espèces d’invertébrés et autour de 1 600 espèces de poissons.

Dans quel état sont nos coraux ?

Par rapport aux autres récifs mondiaux, ils sont en très bon état. Alors qu’en Australie et en Polynésie, les épisodes de blanchissement ne cessent de se répéter et de s’intensifier. Ici, en Nouvelle-Calédonie, on a connu un épisode en 2016 et depuis on n’en a plus connu.

Sait-on pourquoi ?

A l’IRD, on essaie de comprendre cette résistance. C’est peut-être lié à certains métaux, comme le magnésium ou le manganèse qui pourraient booster leur métabolisme. On étudie également la piste du plancton, dit diazotrophe, qui est particulier ici car il est présent en forte concentration. Or ce qu’on a montré c’est que quand les coraux sont blanchis, ils mangent beaucoup plus de ce plancton. On veut donc savoir si le fait d’ingérer ce plancton rend le corail plus résistant aux changements climatiques. C’est l’expérience que l’on mène actuellement.

On perdrait 70 à 90% des récifs mondiaux à la fin du siècle.

A Bouraké, il y a aussi des coraux en bordure de mangrove là où l’eau est plus acide et plus chaude. Et pourtant ces coraux se développent. Quarante espèces y ont été recensées. Ce sont des conditions uniques avec un faible PH et une forte température, ce qui correspond aux prévisions pour la fin du siècle. L’idée, c’est de savoir s’ils ont une physiologie différente des autres coraux.

En quoi ces recherches sont-elles importantes ?

C’est essentiel pour savoir comment les coraux lambda peuvent s’en sortir face à ces changements climatiques. Voir ce qui change au niveau de la génétique de ces coraux particuliers, pour ensuite l’appliquer aux autres, faire des croisements génétiques, etc. On ne sait pas si les autres coraux pourront s’adapter aussi vite. On pense que ce sera trop rapide. Car les coraux de Bouraké par exemple sont présents dans ce milieu depuis des générations et des générations.

Quelles sont les principales menaces ?

Les dernières prévisions du Giec* estiment qu’on perdrait 70 à 90% des récifs mondiaux d’ici la fin du siècle. Ces chiffres font froid dans le dos. En Calédonie, il y a des agressions d’acanthasters dans le Sud en ce moment par exemple et une bonne partie des récifs sont complètement ravagés. Mais la première menace est le réchauffement climatique, qui est une urgence absolue. On a vu en 2016 qu’avec une augmentation de quelques degrés, énormément de récifs ont été touchés. En Calédonie, on a perdu 10% des récifs côtiers.

Pourquoi ?

Dès qu’on dépasse de 1 ou 2 degrés leur température maximale, pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, les coraux sont stressés. Les algues microscopiques qui sont dans leur tissu vont produire trop d’oxygène et le corail va se débarrasser de ces micro- algues, qui leur apportent leur énergie et leur couleur. Si le stress se prolonge, ils meurent.

Ce n’est pas irrémédiable…

Si le stress ne dure pas, le corail peut récupérer. Mais ce blanchissement a une incidence aussi sur sa capacité de reproduction et cela va freiner sa croissance. Cela pèse donc sur les générations d’après.

Quelles conséquences sur la biodiversité ?

Ces barrières servent d’habitats aux poissons et aux mollusques. C’est comme une forêt tropicale, si on enlève les arbres, on perd tous les animaux qui y vivent. Ces récifs sont des zones de reproduction, de nourriture, etc. La barrière a également une forte utilité dans la protection de la côte contre les tempêtes, les cyclones etc. Cela a une conséquence sur les écosystèmes et sur les hommes aussi avec des répercussions pour la pêche, pour le tourisme, etc.

Comment peut-on les protéger ?

Pour notre lagon, il s’agit vraiment de mettre les coraux dans de meilleures conditions au niveau de la qualité de l’eau. Il y a certains endroits où les eaux usées ne sont pas bien traitées et c’est très mauvais pour les coraux. Par ailleurs, les exploitations minières amplifient l’érosion et la sédimentation dans le lagon et c’est extrêmement néfaste. On a essayé de transplanter des coraux en aval d’une exploitation minière et cela ne fonctionne pas. Enfin, il y a les ancrages de bateaux de plaisance, les piétinements, les îlots surfréquentés, etc. Tout cela finit par casser les coraux. Certes, on constate que nos récifs sont en meilleur état par rapport aux autres récifs du monde, mais ce discours est à nuancer car il faut noter toutes ces menaces. Et changer de comportement.

* Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.